Les cent lumières de Sankar Gumpa
Imaginez qu’un morceau de lune soit tombé sur la terre, qu’un peintre colossal et facétieux l’ait badigeonné d’ocres et de verts…. Vous avez sous les yeux le Ladakh, haute vallée himalayenne, joyau tibétain serti entre la Chine, le Pakistan et le Cachemire indien.
Situé à 2 km de Leh, au village de Sankar, la maison de Spombo ressemble en tous points à celles qui l’entourent. Une architecture sobre, des murs de pisé blanchis à la chaux, les animaux au rez de chaussée, la famille au premier. Sur les toits couverts de bois de chauffage, de drapeaux de prières, censés écarter les mauvais esprits, flottent au vent.
Moines, sorcières et dévotion.
Ce soir est un jour de fête. La famille prépare Gya-Ji, les cents lumières, une puja destinée à éloigner les mauvais esprits de la maison.
Ama Tsering Kunze, s’affaire, accompagnant chacun de ses gestes d’un mantra : incantation à mi chemin entre la prière et la formule magique. Elle dispose les bols de nanpé (farine d’orge grillée) sur de petites tables basses, derrière lesquelles les convives sont invités à s’asseoir.
Du monastère voisin sont venus deux moines et tandis que ceux-ci racontent l’histoire de Padmasambhava – le sage indien qui introduisit le bouddhisme au Tibet- on échange le potins du clan tout en psalmodiant avec les moines….En fait si la foi est profonde, la solennité n’est pas de mise. Il suffit qu’un lama fasse une fausse note avec son hautbois pour que tout le monde s’esclaffe !
Entre deux chapitres on offre aux invités le thé au beurre salé…une boisson très reconstituante qu’il est préférable d’avaler comme une bouillon si l’on ne veut éviter les hauts le cœur. Mais si l’humeur est au rire ce soir, c’est à cause du tchang, cette bière aigrelette fabriquée avec l’orge locale.
Pour combattre l’infortune, les Ladakhis ont aussi recours à des sortes de médiums : les labas. Adeptes fervents du bouddhisme lamaïste, ils ont conservé un goût marqué pour la magie, pratique datant des bons. Il faut bien neutraliser les mauvais esprits et ils sont nombreux : Tsan au corps rouge et sans dos, Timos : sorciers chevauchant les poutres des murs du monastère de Matho.
Puntzok a 3 maris
Bien que la loi l’interdise, il n’est pas rare de rencontrer des femmes qui ont plus d’un mari. C’est le moyen d’éviter le morcellement des terres entre les fils et de limiter le nombre des naissances. Comme on peut s’en apercevoir, les femmes ladakhies n’ont pas attendu la pilule pour pratiquer la contraception. En tout cas chez les bouddhistes.
Le fonctionnaire musulman ne se prive pas de railler son collègue ladakhi bouddhiste qui partage sa femme avec ses frères alors que lui peut en prendre jusqu’à quatre !
Polyandrie contre polygamie ? Deux modes de vie opposés. Deux façons d’appréhender la difficulté économique du pays. Le Ladakh, avec ses 72 pour cent de terres incultes, arrive tout juste à nourrir
ses 130 000 ames. Il y pleut rarement et les récoltes d’orge et de blé dépendent uniquement d’une irrigation alimentée par la fonte des neiges.
49 jours dans les limbes.
Le jour est triste, blafard, le ciel comme saturé de neige.
Au village voisin, une femme vient de mourir en couches. Le cas n’est pas rare, toute complication de l’accouchement débouche sur le décès de la mère ou de l’enfant.
Lorsque nous parvenons au village voisin, la cérémonie est déjà bien avancée. Dans une pièce retirée de la maison de la défunte, des moines récitent le livre des morts tibétains : le Bardo Thodol, sorte de guide pour l’ame du mort qui va errer dans les limbes. Comme les hindous les bouddhistes tibétains brûlent leurs morts ou le donnent aux oiseaux. Le jour venu, le corps est plié, emporté sur le lieu de la crémation en position de fœtus.
La procession est longue, menée par des moines en tenue d’apparat. Des moines musiciens interprètent lentement une litanie.
Des caravanes à l’énergie solaire
Jusqu’à l’avènement du communisme en Chine puis au Tibet, le Ladakh fut la plaque tournante du commerce de caravaniers. Leh était alors au centre de la route des épices et de la soie.
Aujourd’hui le négoce des caravaniers est ruiné et l’ancien caravansérail de Leh s’est tu. Finis les marchandages en chinois, persan et tibétain. Le bruit des sabots des bêtes sur la terre battue s’est tu.
Mais les changements ne comportent pas que des éléments négatifs. La disparition de la polyandrie permet à de nombreuses femmes condamnées autrefois au célibat de trouver mari. La nourriture et les soins médicaux sont plus abondants et de meilleure qualité. La majorité des foyers de la capitale possède l’électricité : on trouve téléphone, et même télévision dans presque toutes les maisons.
Ensoleillé 300 jours sur 365, le Ladakh vient de voir apparaître ses premières maisons solaires ; une révolution technologique providentielle dans cette région ou la température peut tomber jusqu’à –30 degré les nuits d’hiver.
Réveillé précipitamment du Moyen-age, le Ladakh s’est engagé sur la voie du développement . Seule victime mais de taille : tout un art de vivre en harmonie avec les hommes et la nature qui prend le chemin des oubliettes.
Extraits d’articles de Renée David
Les cent lumières de Sankar Gumpa